"[..] Nul doute qu'une certaine critique exigeante, longue et analytique est aujourd'hui menacée aux Etats-Unis. Kent jones le constate dans 'Physical Evidence' [2007] : 'La communauté des spectateurs de cinéma qui lisaient les critiques de Pauline Kael a disparu, laissant place à une pluralité d'enclaves [..] dans l'ombre d'une culture de consomation en apparence monolithique.' [..]
D'où vient leur importance, qui justifie de les extraire de leur support et de l'actualité qui les a portés? Moins mêlés de réalisation que sa sœur française (excepté Jonas Mekas ou Paul Schrader), la critique américaine s'est animée à la puissance industrie de la presse avant de côtoyer les départements de cinéma des universités qui fleurirent dans les années 70. Le développement des études cinématographiques a exalté son geste subjectif et préscripteur. En Amérique, la philosophie du cinéma (enseignée à Harvard par Stanley Cavell 20 ans avant les cours de Deleuze à Vincennes, 1963) eut la particularité de partir de notre expérience des œuvres et de leur impact dans nos vies. En quoi elle hérite de pratique critiques qui réfléchissaient l'héritage déposé dans cette culture commune cristallisée autour de l'expérience du film. Un geste critique à la fois esthétique et politique, de revendication et de contestation du 'sens commun'. [..]
La 'rupture avec le réalisme de l'écran de cinéma' atteint des sommets chez Chaplin, qui créa une existence séparée, 'vivant à l'écran des ses propres énergies'. [Gilbert] Seldes se dressait contre une tendance aux 'froncements de sourcils' de la critique qui dénigrait les productions nationales et tout ce qui est populaire. L'intelligentsia n'e fut pas avare. Cavell y voit une spécificité américaine: une tendance à dénier son apport à la culture mondiale qui, avec le cinéma, bousculait les catégories d'art noble et d'art vulgaire, suscitant des positionnements philistins et anti-intellectualistes plus violent qu'ailleurs (Qu'est-ce que la philosophie américaine? 2009) [..] Cherchant les raisons de la mésestime des films de femme, [Molly] Haskell [1977] accuse la 'nostalgie de la boue, du cran et de la bagarre' des critiques new-yorkais. [..]
La célébration de la critique comme genre littéraire se paie au prix d'une décontextualisation gênante. [..]
Politique des auteurs, de l'égo ou du sens commun
[..] Kael a porté à incandescence les grandeurs et les faiblesses de la critique américaine. [..] Elle poussa l'anti-intellectualisme jusqu'à la caricature, cultivant son image de Californienne étrangère aux modes du microcosme new-yorkais (Antonioni, L'année dernière à Marienbad). [..] Elle se fait le porte-parole des instincts (forcément justes) du grand public. [..]"
Elise Domenach; Honneur à la critique américaine! (Positif, n°604, juin 2011)
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