Cours de cinéma: "(Quelque chose d')Alice" de Jan Švankmajer
par Jacques Kermabon, 29 Oct 2010 (forumdesimages) 59'
Traduction française tirée du blog de la Cinémathèque Française
Plaidoyer de Jafar Panahi devant ses juges
Ce témoignage m’a été transmis par un journaliste : c’est le plaidoyer prononcé par Jafar Panahi devant ses juges, il y a une dizaine de jours, alors qu’il passait en procès à Téhéran. D’une grande dignité et d’un courage inouï, ce texte mérite d’être porté à la connaissance de tous. Je vous invite non seulement à le lire, mais à le faire lire à tous ceux autour de vous épris de liberté et qui aiment le cinéma. Tout ce que dit Jafar Panahi, avec justesse et modération, tend à prouver que ce procès n’a absolument pas lieu d’être.
Serge Toubiana
« Votre honneur, Monsieur le Juge, permettez-moi de présenter mon plaidoyer en deux parties distinctes.
Première partie : Ce qu’on dit.
Ces derniers jours, j’ai revu plusieurs de mes films favoris de l’histoire du cinéma, malgré le fait qu’une grande partie de ma collection ait été confisquée durant le raid qui a eu lieu dans la nuit du 19 février 2009 à mon domicile. En fait, Monsieur Rassoulof et moi-même étions en train de tourner un film du genre social et artistique, quand les forces qui proclamaient faire partie du ministère de la Sécurité, sans présenter aucun mandat officiel, nous ont arrêtés ainsi que tous nos collaborateurs, et du même coup confisqué tous mes films, qu’ils ne m’ont jamais restitués par la suite. Par la suite, la seule allusion jamais faite à ces films était celle du Juge d’instruction du dossier : « Pourquoi cette collection de films obscènes ? »
J’aimerais préciser que j’ai appris mon métier de cinéaste en m’inspirant de ces mêmes films que le juge appelait « obscènes ». Et, croyez-moi, je n’arrive pas à comprendre comment un tel adjectif peut-il être attribué à des films pareils, comme je n’arrive pas à comprendre comment on peut appeler « délit criminel » l’activité pour laquelle on veut me juger aujourd’hui. On me juge, en fait, pour un film dont moins d’un tiers était tourné au moment de mon arrestation. Vous connaissez certainement l’expression qui dit : ne dire que la moitie de la phrase : « il n’y a point de Dieu que dieu le grand » est synonyme de blasphème. Alors, comment peut-on juger d’un film avant qu’il soit même fini ?
Je n’arrive à comprendre ni l’obscénité des films de l’Histoire du cinéma, ni mon chef d’accusation. Nous juger serait juger l’ensemble du cinéma engagé, social et humanitaire iranien ; le cinéma qui a la prétention de se placer au-delà du bien et du mal, le cinéma qui ne juge pas et qui ne se met pas au service du pouvoir et de l’argent, mais qui fait de son mieux afin de rendre une image réaliste de la société.
On m’accuse d’avoir voulu promouvoir l’esprit d’émeute et de révolte. Cependant, tout au long de ma carrière de cinéaste, j’ai toujours réclamé être un cinéaste social et non politique, avec des préoccupations sociales et non politiques. Je n’ai jamais voulu me placer en position de juge et de procureur ; je ne suis pas cinéaste pour juger mais pour faire voire ; je ne tiens pas à décider pour les autres ou leur prescrire quoi que ce soit. Permettez-moi de redire que ma prétention est de placer mon cinéma au-delà du Bien et du Mal. Ce genre d’engagement nous a souvent coûté, à mes collaborateurs et à moi-même. Nous avons été frappés par la censure, mais c’est une première que de condamner et d’emprisonner un cinéaste afin de l’empêcher de faire son film ; et il s’agit d’une première aussi que de rafler la maison dudit cinéaste et de menacer sa famille pendant son « séjour » en prison.
On m’accuse d’avoir participer aux manifestations. La présence des caméras était interdite durant ces démonstrations, mais on ne peut pas interdire aux cinéastes d’y participer. Ma responsabilité en tant que cinéaste est d’observer afin de pouvoir un jour en rendre compte.
On nous accuse d’avoir commencé le tournage sans avoir demandé l’autorisation du gouvernement. Dois-je vraiment préciser qu’il n’existe aucune loi promulguée par le parlement concernant ces autorisations. En fait, il n’existe que des circulaires interministérielles, qui changent au fur et à mesure que les vice-ministres changent.
On nous accuse d’avoir commencé le tournage sans avoir donné le scénario aux acteurs du film. Dans notre genre du cinéma, ou on travaille plutôt avec des acteurs non professionnels, c’est une manière de faire très courante pratiquée par presque tous mes collègues. Un chef d’accusation pareil me semble relevé plutôt du domaine de l’humour déplacé que du domaine juridique.
On m’accuse d’avoir signé des pétitions. J’ai en fait signé une pétition dans laquelle 37 de nos plus importants cinéastes déclaraient leur inquiétude quant à la situation du pays. Malheureusement, au lieu d’écouter ces artistes, on les accuse de traîtrise ; et pourtant, les signataires de cette pétition sont justement ceux qui ont toujours réagi en premier aux injustices dans le monde entier. Comment voulez-vous qu’ils restent indifférents à ce qui se passe dans leur propre pays ?
On m’accuse d’avoir organisé les manifestations autour du Festival de Montréal ; cette accusation n’est basée sur aucune logique puisque, en tant que directeur du jury, je n’étais à Montréal que depuis deux heures quand les manifestations ont commencé. Ne connaissant personne dans cette ville, comment aurais-je pu organiser un tel événement ? On ne tient pas à s’en souvenir peut-être, mais durant cette période, partout dans le monde où il se passait quelque chose, nos compatriotes se rassemblaient afin d’exprimer leurs demandes.
On m’accuse d’avoir participer aux interviews avec les médias de langue persane basés à l’étranger. Je sais qu’il n’existe aucune loi interdisant un tel acte.
Deuxième partie : Ce que je dis.
L’artiste incarne l’esprit d’observation et d’analyse d’une société à laquelle il appartient. Il observe, analyse et essaie de présenter le résultat sous la forme d’une œuvre d’art. Comment peut-on accuser et incriminer qui que se soit en raison de son esprit et de sa façon de voir les choses ? Rendre les artistes improductifs et stériles est synonyme de détruire toutes formes de pensée et de créativité. La perquisition effectuée chez moi et l’emprisonnement de mes collaborateurs et de moi-même, représentent le raid du pouvoir effectué contre tous les artistes du pays. Le message convié par cette série d’actions me paraît bien clair et bien triste : qui ne pense pas comme nous s’en repentira…
En fin de compte, j’aimerais aussi rappeler à la cour une autre ironie du sort me concernant : en fait, l’espace consacré à mes prix internationaux au musée du cinéma à Téhéran est plus grand que l’espace de ma cellule pénitentiaire.
Quoi qu’il en soit, moi Jafar Panahi, déclare solennellement que malgré les mauvais traitements que j’ai dernièrement reçus dans mon propre pays, je suis Iranien et que je veux vivre et travailler en Iran. J’aime mon pays et j’ai déjà payé le prix de cet amour. Toutefois, j’ai une autre déclaration à ajouter à la première : mes films étant mes preuves irréfutables, je déclare croire profondément au respect des droits d’autrui, à la différence, au respect mutuel et à la tolérance. La tolérance qui m’empêche de juger et de haïr. Je ne hais personne, même pas mes interrogateurs puisque je reconnais ma responsabilité envers les générations à venir.
L’Histoire avec un grand H est bien patiente ; les petites histoires passent devant elle sans se rendre compte de leur insignifiance. Pour ma part, je m’inquiète pour ces générations à venir. Notre pays est bien vulnérable et c’est seulement l’instauration de l’état de droit pour tous, sans aucune considération ethnique, religieuse ou politique, qui peut nous préserver du danger bien réel d’un futur proche chaotique et fatal. A mon avis, la Tolérance est la seule solution réaliste et honorable à ce danger imminent.
Mes respects, Monsieur le Juge,
Jafar Panahi, cinéaste iranien
Il est étonnant que les changements d’auteur soient si peu pratiqués par les critiques, alors qu’ils le sont régulièrement par les historiens lorsqu’ils se rendent compte d’une erreur d’attribution, et par les créateurs eux-mêmes lorsque, dans le souci d’améliorer leur image, ils prennent un pseudonyme ou falsifient des éléments de leur biographie.
Si ces changements méritent d’être généralisés, c’est qu’ils permettent de découvrir les œuvres sous un angle inhabituel. Attribuée à un nouvel auteur, l’œuvre demeure certes matériellement identique à elle-même, mais elle devient dans le même temps différente et prend des résonances inattendues qui enrichissent sa perception et stimulent la rêverie.
Fidèle aux leçons de Borges, qui suggérait de lire autrement Don Quichotte en l’attribuant par fiction à un écrivain du 20e siècle, je propose donc de multiplier ces changements d’auteur et de les faire jouer dans les champs esthétiques les plus divers, en supposant par exemple que Tolstoï est l’auteur d’Autant en emporte le vent, Schumann du Cri ou Hitchcock du Cuirassé Potemkine.
On mesure les conséquences positives que pourrait avoir l’extension de cette pratique dans l’enseignement, où, déjà familière aux élèves, elle permettrait de revisiter à moindre frais les grands classiques. Et dans la recherche scientifique, où, en conduisant à réfléchir sur le style de Balzac dans La Chartreuse de Parme ou sur les raisons pour lesquelles Nietzsche a écrit Les Frères Karamazov, elle contribuerait à ouvrir des voies nouvelles.
L"Etranger de Kafka, Le Cuirassé Potemkine d’Hitchcock… En changeant seulement le nom de l’auteur, l’œuvre devient autre. L’iconoclaste Pierre Bayard le démontre par a + b critique par Elisabeth Philippe (Les Inrockuptibles, 27 octobre 2010)
Cela donne des intitulés de chapitres aussi déconcertants que « L’Etranger de Franz Kafka », « Autant en emporte le vent de Léon Tolstoï » ou encore « L’Ethique de Sigmund Freud ». Tout le propos de cette démarche théorique décalée, qui évoque bien sûr la nouvelle « Pierre Ménard, auteur du Quichotte » de Borges, consiste à montrer que le nom de l’auteur, lesté de toutes les représentations et images qui s’y rattachent - car « tout nom d’auteur est un roman » –, biaise l’accès à un texte. L’« écran biographique » parasite la lecture, la fige dans une réception étriquée, dans la mesure où l’on projette sur l’œuvre ce qu’on sait ou croit savoir de son auteur. Conscients de cet écueil, certains écrivains se sont inventés des identités artificielles, et Pierre Bayard revient sur deux des exemples les plus célèbres : Romain Gary/Emile Ajar et Boris Vian/Vernon Sullivan.
Si on voulait jouer les pisse-froid, on pourrait rétorquer à Pierre Bayard que cette question du rapport œuvre/auteur a été réglée par Roland Barthes en 1968 lorsqu’il a proclamé « la mort de l’auteur ». Sauf que l’approche de Barthes, qui implique de ne considérer l’œuvre que pour elle-même, plus radicale que celle de Bayard, est aussi nettement moins ludique et peut-être, même, moins féconde.
Aussi gonflée et invraisemblable que paraisse la thèse de Pierre Bayard, elle s’avère extrêmement convaincante. Ainsi, par exemple, en inscrivant L’Etranger dans le corpus kafkaïen, Bayard met en relief la dimension de critique sociale et politique présente dans le roman « qui s’y trouvait certes, mais à bas bruit ». Changer le nom de l’auteur permet une nouvelle mise en perspective de l’œuvre, l’enrichit et en rénove la lecture en profondeur, si tant est que le lecteur, dont la créativité et l’imagination sont pleinement sollicitées, accepte de jouer le jeu. Il aurait tort de se priver de ce plaisir.
“Je ne pardonnerai jamais à Godard son antisémitisme. L’antisémitisme n’a porté bonheur à personne, ni au génial (et déjà godardien) Céline, ni au médiocre Autan-Lara. Je sais que maintenant vous ne pouvez que mépriser Godard sur le plan humain. “Sale Juif” est la seule insulte que je ne peux supporter, insulte qui me donne le goût de vengeance, un désir de meurtre. Si vous saviez ce que ces mots évoquent en moi, ce qu’ils font resurgir d’un passé encore si douloureux, vous viendrez m’embrasser. Votre ami Juif qui vous doit tant de son bonheur juif.”
JLG : "I don't understand what does it mean [the scandal]. Doesn't everyone has a right to be in a concentration camp? I mean from what I heard, why Vanessa can't be in a movie playing a ... why not? Because she supported PLO? [..] I don't understand. She's a good actress, a good girl. Maybe she'll understand better her support of PLO by playing her character. [..] Right or wrong. There is nothing like one image. An image is always the result of the shock of two images."
Cavett : But the woman she played wanted [Vanessa Redgrave] out of [the film cast]
JLG : "Let's ask the woman [Shoah survivor] to play it. If she is better than Vanessa... Or maybe let's ask the woman to make a test, to play an unknown Palestinian woman and maybe it will change her point of view then."
JLG : "This is the enemy. Not him the man, but the culture. [..] You even smile to them... I'm not even revolting. The way you have to shoot me is so disgusting, that it's no wonder that people after like LePen [far Right nationalist/racist party in France] say that concentration camps is only a detail. It comes from that way of looking at things. With TV, you can't even think of something different. With movie you can. And that's why there is this strange love/hate affair between TV and movie."
"Les Israélites vont vers la Terre promise, les Palestiniens vont vers la noyade. Le peuple juif rejoint la fiction, le peuple palestinien le documentaire."
JLG : "Même chez Hannah Arendt, elle critique beaucoup le côté 'ils n'ont rien fait [les victimes de la Shoah]', qu'ils se sont laissés emmener comme des moutons. [..] Je me suis mis à penser que c'est eux qui ont sauvé Israël. Il y a eu 6 millions de kamikazes. [..] Peut-être pas le dire comme ça, mais c'est eux qui ont permis que ça survive et qu'il fallait se sacrifier. [..] Isaac a été sauvé, il ne s'est pas sauvé lui-même. Alors que les 6 millions, ou moins ou plus, se sont sauvés eux-même en se sacrifiant; et disons, sauvés, ce qu'aucun peuple n'a fait. [..] C'était pas une démission. Et les films à faire dessus, ou les textes, ceux-là n'ont jamais été faits. [..] Et même quelqu'un d'aussi fin, et quand même assez intelligente, et résistante qu'Hannah Arendt, elle en parle pas bien de ça. Parce que elle justement s'est 'sauvée'. Elle a été poursuivi et elle s'est sauvée. [..] [les juifs d'Europe de l'Est] se sont laissés... [massacré] ils l'ont voulu un peu. Inconsciemment. Faudrait demander à Freud."
JLG : « Les attentats-suicides des Palestiniens pour parvenir à faire exister un Etat palestinien ressemblent en fin de compte à ce que firent les juifs en se laissant conduire comme des moutons et exterminer dans les chambres à gaz, se sacrifiant ainsi pour parvenir à faire exister l’Etat d’Israël. »
JLG : "Les Israéliens sont arrivés sur un territoire qui est celui de leur fiction éternelle depuis les temps bibliques..." Jean Narboni lui fait remarquer que le mot "fiction" est choquant. "Alors, réplique-t-il, on dira que les Israéliens sont sur TF1, c’estla télé-réalité. Et les autres, dans un film de Frédéric Wiseman" [..] "Un catholique, je sais ce que c’est : il va à la messe, mais un juif, je ne sais pas ce que c’est ! Je ne comprends pas !"
"À plusieurs reprises, Jean-Luc Godard est revenu, ou reviendra encore, sur cette question: il se définit clairement comme pro-palestinien et antisioniste, ne cesse d’établir un lien entre l’extermination des Juifs dans les camps de la mort nazis, la fondation de l’État d’Israël, l’impossibilité de régler le conflit israélo-palestinien, et plus géné rale ment la guerre entre Juifs et Arabes. Comme si une malédiction historique pesait sur cette généalogie: Israël, né dans les camps nazis, se vengerait sur les Palestiniens de l’Holocauste, ce qui justifie tous les actes de résistance arabe, y compris le terrorisme, puisque, d’après Godard, Israël serait une forme paradoxale de résurgence historique du nazisme" [..] “Israël n’est plus considéré comme un pays victime, faible et persécuté, mais comme un État surarmé, protégé par les États-Unis et deux fois vainqueur. Dans un petit documentaire tourné en 1970 par la télévision allemande, Godard tient devant son visage un tract militant où figure la contraction “NazIsraël”, et lance au caméraman: “Tu nous fais un chèque de la télévision allemande qui est financée par les Sionistes et par ce connard de social-démocrate, Willy Brandt, et ça nous permettra d’acheter des armes pour les Palestiniens pour attaquer les Sionistes…”
"Si les Palestiniens et les Israéliens montaient un cirque et faisaient un numéro de trapèze ensemble, les choses seraient différentes au Moyen- Orient." ; "Comme on a pu dire “le régime iranien est un mauvais régime”, il faudrait dire “le régime suisse n’est pas bon”" ; En ce qui concerne la Suisse, je pense comme Kadhafi : la Suisse romande appartient à la France, la Suisse allemande à l’Allemagne, la Suisse italienne à l’Italie, et voilà, plus de Suisse !"
“Tous les matins, avec mes voisins on parle de nos animaux et pendant une demie-heure c’est la paix” (après avoir proposé de distribuer des chiens aux Israéliens et aux Palestiniens, afin de leur fournir un sujet de conversation apaisant)
JLG : "Quand on est plutôt pour les Palestiniens que pour les Israéliens, on est tout de suite un antisémite. Or, de nombreux peuples de la Méditerranée sont sémites: les Syriens, les Nabatéens. Antisémite signifie aussi antipalestinien. Mais à cause de ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, à cause de l’Holocauste, il y a des gens en Israël qui ont ce mot pour tout capital. Je ne trouve pas ça bien."