11 mai 2011

Cahiers-Cannes

Stéphane Delorme : "[..] le Festival est devenu le rendez-vous absolu à la fois des meilleurs films et de l'industrie, une suprématie qui ne va qu'en s'accentuant. [..] Mais combien de films seront écrabouillés dans l'étau entre septembre et novembre ? On doute fort qu'un effet « rentrée littéraire » soit favorable à la distribution. [..]  Embargo sur la compétition [..] Les Cahiers se retrouvent donc à se caler sur le rythme précis imposé pour Cannes. [..] L'an prochain, faudra-t-il refaire un dossier spécial ? La question se pose. Peut-être, si des gros films se jettent à l'eau en mai et que les plus petits envisagent le coup de pouce de la revue à l'approche de Cannes. Le lecteur des Cahiers ne descend pas forcément sur la Croisette (les distributeurs ont tendance à l'oublier) et est friand en amont d'informations, de textes, de photos pour suivre le Festival. [..]  Parce que ce ne sont pas des films Cahiers ? Mais cela fait trente ans que les Cahiers défendent Craven, et quinze ans les Farrelly ! Que ce soit à cause de la négligence, du mépris, ou de la peur de la presse, il devient difficile de faire un mensuel."
Pas étalonné! Editorial Cahiers, n°667 (mai 2011)
Contrairement à ses homologues anglophones, Delorme a la sagesse de reconnaitre l'importance de Cannes, et ne pas tomber dans la mesquine polémique des "cinéphiles" snobinards qui prennent un malin plaisir à rouler dans la boue les festivals majeurs qui font vivre la planète cinéma.
En critique consciencieux, il s'interroge sur les difficultés de la distribution des films de la sélection cannoise. Moins sortent en mai, en synchronicité avec la projection pour les critiques. Et plus sortent en septembre-octobre, dans un embouteillage infernal. Au moins, on devrait s'en réjouir, ils sortent en salles pour le grand public en France, ce qui n'est pas le cas outre-atlantique! 
Ensuite, il se plaint de ne pouvoir révéler le nom des films avant tout le monde, et de publier des résumés pour les films en première mondiale, début mai, avant que quiconque ne soit arrivé à Cannes.

Je crois qu'il oublie que Cannes n'est pas un festival franco-français dont les Cahiers serait une sorte d'attaché de presse... Si Delorme s'oppose à l'effet de surprise d'une première mondiale, le prestige d'un grand festival comme Cannes issu du principe d'exclusivité n'a plus lieu d'être! En fait, il rechigne à voir les films en même temps que tous les autres critiques mondiaux, avec ses insinuations de chantage affectif (y'aura pas de dossier l'an prochain... nanana nanère). Soit on accepte les règles du jeu de l'embargo, pour faire de Cannes un moment unique qui n'est pas pré-digéré à l'avance dans la presse. Soit on abandonne l'idée d'avoir en France un festival qui compte dans le monde. Etant donné le pôle magnétique qu'est devenu Cannes, les desiderata des Cahiers importent peu sur les décisions de Jacob et Frémaux.
Je trouve tout à fait normal de ne pas lire dans le numéro de mai, les synopsis de tous les films qui doivent conserver leur mystère, non seulement avant l'ouverture de Cannes, mais aussi jusqu'au jour de leur projection. Sinon ça n'a aucun sens de faire attendre certains réalisateurs jusqu'au dernier jour du festival pour projeter leur film après tous les autres. Ils acceptent d'attendre parce que les critiques continue d'anticiper jusqu'à la première officielle. Et si le prix à payer est de prolonger la frustration des lecteurs, qu'il en soit ainsi. 

La couverture d'un festival ne devrait pas être envisagée comme n'importe quelle semaine de l'année, dont les films en distributions sont annoncés et décryptés avant même d'apparaître sur les écrans. La compétition de Cannes c'est pas les sorties en salles de la semaine.

Les lecteurs seraient surement plus content de pouvoir lire les réactions des Cahiers avant le numéro de Juin! Mais on ne peut pas satisfaire tous leurs désirs égoïstes, ni ceux des mensuels... Un festival ça se dévoile au jour le jour, et si les mensuels sont incapable de suivre le rythmes des nouvelles technologies, tant pis pour eux! C'est pas aux festivals de s'adapter à la presse papier du XXe siècle.
Burdeau avait tenté un moment d'établir un contact en direct de Cannes via le site web des Cahiers, avec chat et billets journaliers. Mais, Delorme a réduit à néant cette interface web : plus de chat, plus de forum, plus de contenu web hors-issue... Ce n'est pas à Cannes à s'adapter à la presse papier, ce sont aux mensuels à s'adapter au XXIe siècle!

A défaut de pouvoir tout savoir sur les films de la sélection, peut-être serait-il bienvenue pour un mensuel d'imaginer une manière différente de participer au festival, sans en gâcher le plaisir. Soit en se détachant du format mensuel pour l'occasion, en usant de moyens plus interactifs. Soit en proposant autre chose qu'une liste de synopsis, en parlant d'autre chose que d'actualité qui n'a pas encore eu lieu. Il faut parler avec des acteurs décisifs du cinéma mondial, faire un bilan de la distribution de l'ancienne sélection, la carrière des lauréats dans leur pays respectif, en France et dans le monde. Reprendre l'excellente idée de Tesson/Frodon pour un Atlas mondial du cinéma (annuel), l'occasion de prendre contact avec des critiques étrangers qui décrivent l'état de leur marché national, de comparer l'évolution des goûts aux quatre coin du monde.
Et puis repousser à juin, le numéros spécial Cannes, avec des papiers plus posés, moins bâclés, sur chaque film, sur les sections parallèles. Un numéro sur Cannes écrit et publié APRES Cannes, est plus crédible qu'un mois avant l'ouverture du festival! Même si il arrive 2 semaine après tous les quotidiens. Mais il faut choisir entre le presse de l'immédiat, et la presse au temps long des mensuels qui s'attardent sur les sujets pour les approfondir. L'opinion des Cahiers devrait garder tout son intérêt même si on a déjà lu l'opinion superficiel des journaux et du web, surtout si les lecteurs ne peuvent voir les films qu'à la rentrée. C'est aux Cahiers de se faire attendre, plutôt que compter sur l'unique avantage d'avoir parler avant les autres.

Cannes est un moment exceptionnel dans l'année, une seule fois par an. Les films présentés se précipitent pour être vu là-bas des professionnels. Mais ce n'est pas la date de Cannes qui définit quand sortent les films commercialement. On ne peut pas avoir tous les meilleurs films de l'année sortis dans la même semaine sous prétexte que les critiques les ont déjà vus. Le temps des professionnels et le temps du grand public ne coïncident pas. 

Ce n'est pas la première fois que les Cahiers se plaignent de n'avoir pas accès aux films de genre commerciaux (selon le cliché que ce ne sont pas des "films-Cahiers"). Burdeau, fan d'Hollywood, avait déjà réclamé qu'on lui paie le voyage pour avoir accès à des junkets à L.A. Quelle misère d'en arriver là... quémander à Hollywood ce que même les journalistes de l'entertainment devrait refuser par déontologie professionnelle. Ça ne grandit pas la critique cinéma.
Ainsi, Delorme explique que les Cahiers défendent Craven depuis 30 ans et Farrelly depuis 15 ans. Si cela avait un impact sur les ventes d'Hollywood... ils vous harcèleraient sans répit. Pas la peine de jouer au lèche-cul. Ce que cet aveu implique est plutôt malsain : si Craven et Farrelly ont "la carte", qu'il on reçu le "label Cahiers" pour leur films précédents, vous promettez donc de publier une critique positive pour leur nouveau film sans l'avoir vu??? Ça craint quand même une mentalité pareille. Pourquoi est-ce qu'ils devraient vous faire confiance à l'aveugle? Et d'ailleurs, interdire les projection de presse dans la crainte d'un mauvais papier est contraire aux règles. S'il suffisait de montrer le films aux critiques qui adorent, la vie serait tellement simple pour les studios qui aiment faire des navets. 


Si les exclusivité vous est soufflé par Twitter, et que vous êtes obligés de voir les films en salles (comme tout le monde, quelle horreur!)... il va bien falloir faire une sérieuse introspection et repenser le rôle de la presse à une époque où tout lecteur est connecté au web en permanence et n'attend pas un mois pour connaitre les moindres infos dont la presse avait jadis le monopole. 
Regardez de l'avant. Les nouvelles technologies ne vont pas ralentir pour vous faciliter la tâche.



Lire aussi :


Aucun commentaire: