"« Qui es-tu pour juger ? » est donc une manière de laisser savoir qu’il n’y a plus de hiérarchie des valeurs ; attitude par excellence de l’abdication et de l’indifférenciation qui permet d’éviter toute confrontation, tout débat réel, tout choc culturel ou idéologique, et qui permet de s’enfermer dans ses certitudes individuelles. [..]
Cette attitude est liée à un phénomène historique bien concret et très complexe de remise en question, de relativisation, voire de rejet de l’autorité dans plusieurs sphères de la société. [..]
La critique des autorités et d’une hiérarchie rigide des valeurs n’est pas une mauvaise chose en soi, mais n’avons-nous pas tout faux quand nous pensons nous « faire notre propre idée » sur tous les sujets ?
Si un tel et un tel autre s’enferment volontiers dans « le mien vaut le tien », c’est que nous vivons dans une époque où règne l’opinion. Une opinion en vaut une autre, mais l’erreur consiste à penser qu’une opinion vaut bien une idée. Il n’y a rien de mal ou de « faux » dans une première impression, une intuition, une opinion face à un individu, une idée ou un phénomène, mais j’insiste, l’erreur consiste à ne pas voir la différence de valeur entre l’opinion et l’idée, entre l’impression et la connaissance. [..]
Défendre ou donner sa position, c’est bien là le fardeau du cadeau de la liberté. On l’a vu, l’individu ne peut pas tout vérifier et se prononcer sur tout. Mais on lui donne aujourd’hui l’illusion d’avoir besoin de lui dans tout et sur tout. Notre société « démocratique » - mais surtout médiatique - invite l’individu à se prononcer sur tout et cette liberté le fait crouler sous les sollicitations tous azimuts. [..]
Devant cette saturation, devant tant de sollicitations, d’images, d’opinions, d’enjeux qui bourdonnent chaque jour, l’individu nauséeux n’a d’autre choix que de développer une insensibilité. [..]
Devant cette saturation, cette insensibilité, cet irrationnel, quel est le rôle du critique ? Le défi – qu’aucun commentateur de la presse ou de la télévision n’atteint et même pas toujours dans les magazines spécialisés - est d’amener les gens sur le plan de l’Art et de la critique. [..]
Un critique de cinéma est un amateur de films qui cherche à saisir le Beau dans son mouvement perpétuel, parce que tant que les hommes seront là pour créer et faire de l’Art, la définition sera ouverte. Parce que tout ne se vaut pas, qu’il y aura toujours des imitations, des copies, des faux et des œuvres sans intérêt qui à défaut d’être « dénoncés » doivent être différenciés des films qui apportent quelque chose de nouveau et qui comptent. C’est d’ailleurs ces films que le critique devrait d’abord et avant tout défendre. [..]"
Toi le critique, qui es-tu pour juger? (Antoine Godin; Hors-champ; 4 janvier 2012)
Lire aussi :
- Emancipation du jugement de goût (Kant)
- Voluntatry Engineered Apathy / Intuition, Reflection (Kahneman)
- Consensual criteria for a good critic / Anti-curriculum vitae / Defining a critic / La condition critique / Contra-contrarianism (IFFR) 5
- Deficiant Subjectivity / The root of anti-intellectualism / Subjective, subversive, sensationnelle, cinglante
- Critical Fallacy #13 : Inconsistent Standards / Double Standards (Film Comment) 4
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